Pour la quatrième édition d’A MAZE, festival consacré au jeu vidéo indépendant et à la réputation grandissante, Pierre Corbinais (l’OUJEVIPO) a endossé son costume d’envoyé spécial. Depuis Berlin, il nous livre chaque jour son compte-rendu des festivités et sa sélection de jeux. Dernier épisode. Rendez-vous est déjà pris pour 2016.
< A MAZE # Jour 1, bière, yeux, trous et jeux 1D
< A MAZE # Jour 2 : porno, pétanque, disquette et couscous
Le public d’A MAZE semble avoir un pouvoir de régénération surnaturel. Une fois de plus il est frais et dispo à 9h30 pour assister à une conversation entre Rami Ismail et Leigh Alexander et à un atelier Unity 5. On ne peut pas en dire autant de tout le monde.
À midi (enfin une heure décente), Nadesda Suvorova nous explique comment le jeu vidéo s’est progressivement imposé à elle et comment les images satellites de la NASA l’ont inspiré pour créer OKO puis MIKMA. Entre l’art numérique, le jeu vidéo et l’imagerie scientifique, ses créations se servent du petit écran d’un smartphone pour donner un goût d’infini.
Plus tard Terry Cavanagh expose sa démarche créative à travers son projet pour le « 7 Days Rogue-Like Challenge » (jam consistant à créer un rogue-like en moins d’une semaine). On peut ainsi voir comment les jours se sont progressivement changés en semaines, l’ASCII en pixel art, et on comprend mieux le fonctionnement de Terry qu’on pourrait résumer ainsi : « Je n’ai aucune idée précise en tête, j’ajoute des trucs au fur et à mesure, je garde si ça marche« .
Durant la pause on discute des nominés – « Tiens y a aucun Français en fait, qu’est-ce qu’on a branlé ? » ; on parle prog’ – « En gros, Löve, c’est du Processing en Lua » ; on invente des jeux qu’on ne fera jamais – « Un Flappy Bird-like, mais pervasif et sur le thème du harcèlement sexuel » ; on sort parfois aussi du champ du jeu vidéo – « J’adore ta jupe, si elle était à moi je la porterais jusqu’à la mort ! »
Phoenix Perry (Crystallon) nous suggère ensuite d’adapter les commandes au joueur plutôt que le contraire (ça évite les crampes au poignet). Marie Foulston nous parle de curation, qu’il s’agisse d’exposer dans d’obscures salles d’arcade ou dans le prestigieux V&A Museum de Londres. Et Dennis Wedin (Hotline Miami) surprend avec un slideshow réalisé sur Game Maker (« Ça va plus vite »).
Après une nouvelle pause où l’on jamme (musicalement) hors de l’enceinte d’A MAZE, les conférences laissent la place aux « hyper talks », une série de présentations n’excédant pas 5 minutes et animée par le pince-sans-rire Lorenzo Pilia. C’est le moment le plus intense et certainement le plus intéressant de la journée. Les idées fusent. Il est très difficile de décrocher.
Florilège de citations entendues durant les hyper talks :
Charlene Putney : « Je suis un corps, mais je suis plus qu’un corps. Je suis mes sentiments, mais je suis plus que mes sentiments. Je suis un esprit, mais je suis plus qu’un esprit. »
Stefan Srb : « J’ai créé un cimetière pour mes jeux inachevés. Pas pour les enterrer, mais pour les libérer, et pour me libérer d’eux. »
Damir Veapi : « Aujourd’hui, je veux vous donner un aperçu de la scène serbe. Je vais vous montrer cinq jeux, et je suis sûr qu’ils vont vous plaire.»
Luca Lombardo & Maximilian Kiese « . . . » (l’hyper talk était une performance silencieuse)
« Quand j’étais enfant, les choses que j’aimais le plus au monde étaient les hot-dogs et les dinosaures. Je crois que GTAV a voulu me rendre hommage. »
Astrid Refstrup
Marc Wonnacott : « Je vais vous parler d’outils, de comment on peut en créer et de pourquoi il faut le faire. »
Jonathan Prior « La pression pour faire de l’argent et gagner sa vie sera toujours là, mais ce sont les gens autour de nous qui comptent vraiment. »
Lise Saxtrup « Il est d’une importance cruciale de penser le gameplay avec la narration »
Karel Crombecq «Un jeu nommé Mayan Death Robots contient évidement beaucoup d’explosions. Je vais donc vous donner quelques conseils à leur sujet.»
Le collectif Klondike enchaîne ensuite avec un Hyper Hyper Talk (10 intervenants en 5 minutes, soit 30 secondes chacun):
https://vine.co/v/eWB9BYlFh6j
Armel Gibson « Bonjour, nous sommes Klondike »
Lucie Viatge « Quand je travaille sur un jeu, j’ajoute toujours des plantes. »
Pol Clarissou « Je veux davantage de jeux où il ne se passe rien. »
Typhaine Uro « J’aime les jeux pour enfants, j’y joue tout le temps. »
« Le sexe et les jeux sont deux aspects importants de l’humanité. Mélangeons-les ! »
Pitoum
Georges Buckenham (qui s’impose sur l’estrade pour parler d’un jeu mobile japonais à base de chatons) : « Regardez leur anus ! Même leur anus est mignon ! »
Heloïse Lozano : « Ce qui m’est le plus familier, ma ville natale par exemple, est ce qui va provoquer le plus de dépaysement chez les autres. »
Flex Roman « Ne vous faites pas de soucis pour les graphismes. Si l’écran bascule et clignote assez vite, personne ne les remarquera. »
Dziff « Ce jeu a pour sujet ma peur de ne pas savoir programmer, et c’est pourquoi je dois le faire. »
Tom Victor « Il est plus important de se souvenir du parcours qui a mené au jeu que du résultat lui-même. »
Titouan Millet « Un jour, il traversa l’horizon de Mars. »
« Nous avons peu d’argent, mais nous avons une passion. »
Vient enfin le moment que les développeurs nominés doivent attendre avec impatience : la cérémonie de remise de prix. Il s’agit ici de cubes de plastique bleus et roses, mais aussi et surtout bien sûr de la reconnaissance par ses pairs. Sous la lumière rose des spots, avec sa veste en cuir et ses cheveux gominés, Thorsten Storno prend des airs de Ryan Gosling dans Drive : « Nous avons peu d’argent, mais nous avons une passion. »
William Pugh et Kevin Patterson sont chargés d’animer l’événement et, pour ce faire, endossent le rôle d’une paire d’idiots façon Eric & Ramzy. Bien qu’amusants, leurs mini-sketches et autopromotions ironiques agacent un peu, et on appréciera davantage les deux shows d’Angie Reed.
Le jury composé de Phoenix Perry, Nadezda Suvorova, Lea Schönfelder, Terry Cavanagh et Kristoffer Gansing a déjà délibéré, et les prix sont décernés :
Audience Award : Line Wobbler de Robin Baumgarten (qu’on a présenté lors du jour 1). « C’est la première fois qu’un de mes jeux reçoit un prix, et le fait qu’il vienne du public le rend encore plus important. »
WTF Award : Line Wobbler de Robin Baumgarten. « Hum… C’est la deuxième fois qu’un de mes jeux reçoit un prix. C’est presque aussi bon que la première fois.»
Human-Machine Award : Crawl, de Powerhoof, dungeon-crawler où les monstres sont incarnés par les autres joueurs.
Other Dimensions Award : Pixel Rift, dont vous n’avez pas pu manquer le trailer tout droit sorti des années 1980 [lisez notre interview avec son développeur dans Games #6].
Je crains un instant que le Most Amazing Game Award, Grand Prix du festival, soit décerné à Kentucky Route Zero qui l’aurait bien mérité, mais A MAZE confirme sa position singulière et son importance dans le monde du jeu vidéo en récompensant le Curtain de Dreamfeeel, visual novel intimiste sur la violence psychologique dans le couple : « Cette récompense n’est pas pour moi, mais pour tous ceux qui créent des weird fucking games partout dans le monde. »
La cérémonie terminée, la fête peut commencer.
De nouveaux stands ont fleuri à l’Urban Spree. On peut y déguster Caïpirinha, Jägermeister, ainsi que les délicieux petits pâtés que Wilbur, deux ans, a préparé avec amour. C’est le moment à partir duquel les journalistes cessent de prendre des notes, ce qui les oblige ensuite à sonder leur mémoire embrumée pour reconstituer le fil de la soirée.
Tant de gens passionnants sont rassemblés ici qu’il est difficile de rester en place. Il y a toujours quelqu’un à rencontrer, à retrouver, sans parler bien sûr des obligatoires allers-retours au bar. Les photos sur mon téléphone semblent me dire que j’ai passé d’excellents moments avec Stephan Srb, Marc Wannacott, Georges Buckenham, Karel Crombecq, Dreamfeeel ou encore Allan Hazelden. Oh, et il avait ces gens-là aussi :
Je parlais hier d’une foule pogotant sur la musique de Chipzel, mais ce n’était en fait rien comparé au déchaînement provoqué par Fucking Werewolf Asso, le groupe de Dennis Wedin. Une omoplate ou deux déboîtées dans la bataille, les t-shirts tombent, les chaussures se perdent, et les morceaux de verre enfoncés dans les pieds de William Dice ne parviennent pas à l’empêcher de sauter. Un malheureux perd connaissance, les diverses drogues vendues à l’entrée de l’Urban Spree y étant sans doute pour quelque chose.
Les survivants se retrouvent au set tout aussi frénétique de Thorsten Storno himself et sont finalement jetés dehors à 5h du matin, alors que le soleil commence à poindre.
Le plus gros d’A MAZE est derrière nous. Aucune conférence ou animation n’est prévue pour la dernière journée, elle ne sera que l’occasion d’essayer les jeux qu’on avait ratés, de distribuer les dernières cartes de visite et pour certains de jammer avant de quitter Berlin.
A MAZE sera certainement reconduit l’an prochain. D’ici là, on pourra retrouver son esprit et son ambiance dans divers festivals à travers l’Europe : Game City à Nottingham en octobre ; ZooMachine à Lille en novembre [dont Games fut partenaire en 2014] ; ou encore Screenshake a Antwerp en février.
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Trois jeux
Body Check
Réalisé en trois jours lors d’un workshop berlinois, Body Check équipe deux joueurs de bracelets, de genouillères et de ceintures à code-barre pour les placer face à un meuble pourvu d’un lecteur. Ils devront alors concourir pour scanner tous leurs codes-barres avant l’autre. Cela engendre bien sûr les positions les plus improbables, et impose un contact physique entre les joueurs qui a parfois quelque chose de sensuel.
Cunt Touch This
Cunt Touch This s’inspire de Cunt Coloring Book, livre de coloriage de vulves plus ou moins stylisées de l’artiste Tee A. Il propose comme lui de mettre un peu de couleurs à ces lèvres et poils pubiens, au doigt cette fois. Chaque vulve dispose de zones plus sensibles qui les feront chanter et écourteront l’expérience si le geste est trop brusque. Une sorte de Luxuria Superbia en plus explicite et plus créatif.
MS Paint
D’accord, MS Paint n’est pas vraiment un jeu, mais il peut en devenir un dès qu’on l’enrichit un peu. Ici, l’image à l’écran est simplement projetée au sol, et en installant quelqu’un à cet endroit, on pourra s’amuser à peindre son visage ou l’espace sur lequel il est assis. De toutes les installations d’A MAZE, MS Paint est certainement celle qui a été la plus facile à programmer (Microsoft ayant déjà fait tout le travail), mais pas la moins surprenante.
L’ensemble des conférences peut être écouté ici
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