Pour la quatrième édition d’A MAZE, festival consacré au jeu vidéo indépendant et à la réputation grandissante, Pierre Corbinais (l’OUJEVIPO) a endossé son costume d’envoyé spécial. Depuis Berlin, il nous livre chaque jour son compte-rendu des festivités et sa sélection de jeux. Épisode 2.
< A MAZE # Jour 1, bière, yeux, trous et jeux 1D
> A MAZE # Jour 3 : Ryan Gosling, pogo, pâtés et vulves
A MAZE reprend à 9h30, et comme prévu, c’est beaucoup trop tôt. La journée commence avec une série de conférences qui n’a pas lieu à l’Urban Spree, mais a Neue Heimat quelques centaines de mètres plus loin. L’occasion de découvrir le décor post-industriel et coloré de la friche de Revaler Strasse mais aussi de se perdre et de rater les deux premières rencontres, celle de Nina Freeman (How do you do it, Cibelle…) sur son rapport intime aux jeux vidéo [on vous prépare quelque chose à son propos, pour bientôt], et celle de Tatiana Vilela (Adsono, Tetra…) sur les playful performances.
Lorsque j’arrive enfin dans la salle, Holly Gramazio parle de double pénétration, de fisting et d’éjaculation faciale. C’est qu’elle liste les nouvelles règles imposées aux films pornographiques britanniques, règles qu’elle a choisi de reprendre (pour les tourner en ridicule) dans son jeu Pornography for Beginners. Tout le monde ne semble pas avoir eu les mêmes problèmes de réveil puisque la salle est déjà bien remplie, et que presque autant sont dehors, entre les containers, à boire leur café au soleil.
Les développeurs de Maschinen-Mensh (Curious Expedition) montent ensuite sur l’estrade pour nous parler de leur première année en « full indie ». Il exposent notamment le concept de « femcrunch » qu’ils ont dû inventer, se rendant compte qu’ils avaient oublié d’inclure dans leur jeu suffisamment de rôles féminins. Le Femcrunch est donc une période de développement exclusivement dédiée à rétablir l’équilibre des genres, et dans le cas précis de Curious Expedition, à créer assez de personnages féminins pour égaler les masculins.
Oscar Clark clôt la mâtinée de conférences en exposant comment dans le jeu mobile, des publicités bien intégrées et respectueuses de l’utilisateur peuvent rapporter un million, comme ce fut le cas pour Crossy Road. Cette conférence à orientation économique jure quelque peu avec celles qui l’ont précédé.
13h. Après s’être essayé à la « home-made mexican food for the mind » et à la « traditional vegi indian streefood », on tente la « korean soulfood ». L’audience a une heure et demie pour souffler, et que font des game designers dès qu’ils ont un peu de temps libre ? Ils créent des jeux. Les disquettes récupérées par dizaines la veille font un bon matériel et les marelles déjà tracées au sol font un excellent terrain de jeu. On peut ainsi assister à un football-pétanque-disquette dont les règles changent d’une partie à l’autre :
« – On devrait essayer avec des équipes de deux.
– Et si on les lançait, plutôt, les disquettes ?
– Au fait, comment on sait à quelle équipe appartiennent les disquettes ?
– Bah, on verra bien.
– Nouvelle règle : tout le monde doit se serrer la main à la fin de chaque manche. »
Dans l’après-midi Devine Lu Linvega intrigue en racontant comment il traque chacune de ses heures de travail, et songe à un site Web qui saurait tant de sa vie qu’il serait capable de la prédire, puis de poursuivre son travail après sa mort. Jake Elliott (Kentucky Route Zero) nous parle du temps, du texte et de l’espace, et présente quelques-unes de ses œuvres de poésie concrète interactives ou dynamiques. Christos Reid nous raconte comment la création de jeu vidéo l’a aidé à surmonter ses TOCs, et montre comment les boucles de gameplay de nombreux jeux peuvent s’apparenter à ces troubles obsessionnels.
Les conférences se poursuivent, avec des sujets aussi surprenants et intéressants que «la douleur physique dans le jeu vidéo» et « faisons un jeu rapidement car, ne nous voilons pas la face, nous serons tous morts très bientôt ». Pendant ce temps, à l’Urban Spree, on déguste des glaces en voyant se monter une étrange installation de câbles et de dodécaèdres (on me souffle « cuboctaèdre »).
19h30. L’ubiquité n’a toujours pas été inventée. Impossible donc d’assister à la fois à l’avant-première allemande de GameLoading : Rise of the indies, le documentaire sur la scène du jeu vidéo indépendant, de participer aux ateliers, et de déguster un couscous en sirotant sa première bière. Heureusement, le couscous est délicieux.
À l’Ambulatorium juste à côté sont projetés des machinimas, ces courts-métrages réalisés à partir de jeux vidéo. Matériau originel oblige, beaucoup d’entre eux débordent de testostérone et de poudre à canon, mais leur qualité n’a pas grand-chose à envier à celle d’un film d’animation. On notera parmi eux un Jour de la marmotte façon Team Fortress, la touchante histoire du dernier être humain encore présent sur les serveurs old gen de GTA5 ; un clip musical passant Borderlands en autotune ; un rap sur Alien Isolation et, sans doute le plus surprenant de tous : un hommage à l’acteur Paul Walker et Fast & Furious à travers un car porn aussi gratuit qu’efficace.
Dans le club, Chipzel électronise le dance-floor avec la bande-son de Super Hexagon. Les T-shirts tombent, les lunettes se couvrent de buée, et la foule pogotte au rythme des chiptunes qu’elle connaît par cœur. Terry Cavanagh nous fait finalement le plaisir de grimper et danser sur scène pour donner au concert le climax qu’il mérite.
Dehors, Gang Beast est projeté sur tout un mur de l’Urban Spree tandis que Sos Sosowski, micro en main, commente les parties. Pour beaucoup, c’est comme un rêve de gosse qui se réalise.
Des parties de Ninja s’organisent dans la cour, et des parties de Johann Sebastian Joust dans la galerie. Rami Ismail restera invaincu malgré de beaux efforts de Flex et les diversions de Dziff.
À 3h, l’Urban Spree est presque totalement désertée (il faut se ménager pour le vendredi soir) et l’étrange installation low poly se révèle être un chill-out lounge accueillant des resquilleurs du festival.
– « On est entrés par hasard, on croyait que c’était un festival électro.
– Moi je joue qu’à PES, je savais pas que ça existait tout ça.
– C’est sympa en fait votre truc de geek. »
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Trois jeux
Hypnagonia
Ceux qui n’ont pas utilisé leur disquette pour une pétanque improvisée ont pu l’insérer dans Hypnogonia et générer sur l’écran géant un monde certainement unique. Le hardware rétro d’Hypnogonia ne s’arrête pas là puisque sa « manette » est en fait une table de câblage. En branchant et débranchant les câbles colorés, on pourra ainsi altérer notre monde, faire pivoter sa caméra et découvrir les étranges personnages à tête cathodique qui l’habitent.
Magnesia
Magnesia se trouve quelque part entre le jeu vidéo et le jeu de fête foraine, comme issu du début du XXe siècle, quand le numérique n’avait pas supplanté l’électronique et l’informatique la mécanique. Le jeu consiste en 5 boules de fer sous une plaque de verre que deux équipes guideront à l’aide d’aimants vers les « buts » de leur couleur. Magnesia déborde de fils, mais ce n’est que pour allumer des LEDs et clignoter en cas de victoire. Si une panne d’électricité survenait à A MAZE, il y aurait encore Magnesia pour nous distraire.
Taphobos
Dans la cave, Tabhobos nous accueille avec un cercueil clos. Le pire, c’est qu’il y a quelqu’un dedans. Tandis que cette personne joue le rôle d’un enterré-vivant, un autre joueur guidé par sa voix doit retrouver le cercueil à temps dans un cimetière numérique. Un bel exemple de gameplay asymétrique et d’immersion totale.
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