Depuis que Telltale a décrété qu’un jeu vidéo épisodique devait se décomposer en saisons de cinq épisodes, on sait l’importance cruciale de la troisième partie. Plaque-tournante de l’expérience, elle a la charge de cristalliser les intentions des scénaristes puis de pousser vers la résolution tout en donnant un nouveau souffle au récit. C’est le point d’équilibre du jeu par lequel doit s’exprimer son essence, mais c’est aussi le début de la fin.
DontNod, bien conscient de ces enjeux, choisit de ralentir la cadence dans Chaos Theory, après deux épisodes qui voyaient les intrigues policières, surnaturelles et familiales s’entremêler dans un tourbillon d’informations parfois confuses, ou au moins cryptées. Ainsi l’on n’apprendra pas grand-chose de plus sur les mille et un mystères d’Arcadia Bay : le développement des personnages stagne et le roller-coaster émotionnel à son plus haut point à la fin de Out of Time, décélère. Chaos Theory s’envisage donc comme un moment suspendu, une profonde inspiration avant de replonger dans les eaux troubles de l’académie Blackwell.
On retrouve Max, encore chamboulée par la tentative de suicide d’une des étudiantes sur le campus, en compagnie de Chloé, pour une petite virée nocturne non autorisée. « J’avais besoin de prendre l’air » justifiera-t-elle au proviseur imbibé qui la repère hors de ses dortoirs. S’octroyer une pause, se donner le temps, simplement parce qu’on se sent épuisé, mentalement et physiquement, c’est là tout le charme tranquille de ce troisième épisode. Lessivées par les confrontations et les drames, Max et Chloé s’autorisent un répit, le temps de déguster quelques pancakes ou de piquer une tête dans la piscine de l’université.
Dans des scènes tout droit sorties d’un roman de Stephen Chbosky (The Perks of Being a Wallflower, joliment adapté au cinéma en 2012), on les voit échanger – l’air à moitié sérieux – sur les plus puériles futilités de jeunes adultes (« et toi, les mecs ? » « tous des cons ») et se poser des questions faussement existentielles. On se cherche, on se teste, on jauge l’autre, on tâtonne, on se fait peur, on transgresse, « pour savoir si t’es cap » (de m’embrasser), pour savoir si, après tout, on ne se sentirait pas mieux dans les fringues d’un autre.
Chaos Theory rend ainsi compte de l’inoffensif bac à sable qu’est la fin de l’adolescence, où les parents ne surveillent plus, mais où on peut encore se brûler sans dommage permanent (« T’as 18 ans », rappellera-t-on à Max). C’est aussi cette brusque rencontre avec la réalité, grossière et trompeuse, qu’on ne cessait d’appeler de ses vœux, mais qui tout compte fait, nous rebute un peu. Dans ces tranches de vie triviales et symboliques, à travers ces petits riens évocateurs dont DontNod a le secret, cette troisième partie reprend ce qui fait le coeur de Life is Strange : la banale et stimulante insouciance de deux ados à la dérive.
Néanmoins troisième épisode oblige, les personnages commencent à dresser un bilan provisoire. Max règle ses comptes en prenant définitivement partie, et Chloé a une révélation freudienne sur l’origine de ses dérives anarcho-punks d’eau douce. Tout cela est archétypal, comme peut l’être le monde vu par les yeux d’un jeune adulte, forcé de polariser les choses autour de lui avant d’en saisir les nuances. À l’image de cette dernière franche discussion du duo, qui bloque la situation pour Max, laquelle tente pourtant de sauver Chloé de son naufrage permanent. Une belle opportunité aménagée en fin d’épisode par les scénaristes pour tout relancer.
Parce que Chaos Theory se focalise exclusivement sur les progrès du duo, ses errances introspectives et ses certitudes têtues, les auteurs ont pu se permettre de voir plus loin et d’ajouter une nouvelle dimension au pouvoir de voyage dans le temps (on peut remonter jusque dans l’enfance) – comme une récompense à un rite de passage spirituel. Pour DontNod c’est l’aboutissement de son concept initial : à chaque palier franchi sur la route du « coming-of-age », la jouabilité s’enrichie. Le core-gameplay est muri petit à petit – chaque addition répond à un cadre ou une logique narrative – avant de s’intriquer dans un jeu de poupées russes en se repliant sur lui-même. Cette méthode, déjà employée dans le culte Memory Remix final de Remember Me, semble dorénavant être la signature du studio parisien.
Avec les effets en cascade provoqués par une telle mécanique, Chaos Theory (le bien nommé) nous fait cependant nous demander comment envisager la suite ? S’agit-il d’un nouveau départ pour les deux épisodes suivants ? Ou bien est-ce une couche narrative de plus qui vient s’ajouter à l’agenda déjà bien chargé de Max ? Une chose est sûre cependant, on veut savoir plus. Episode 3 réussi.
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Life is Strange Ep. 3- Chaos Theory
Développeur : DontNod
Editeur : Square Enix
Pays : France
Plateformes : PC/PS4/Xbox One/PS3/360
Date de sortie : 19 mai
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