De retour à Arcadia Bay, nous ne ressentons plus la sidération que procurait notre première rencontre avec Life is Strange. Le Nord-Ouest américain et son soleil mourant, les vagues à l’âme d’étudiantes en photographie et les intrigues à l’académie Blackwell, la folk mélancolique et même les étranges pouvoirs de Maxine, l’héroïne capable de rembobiner le temps, tout cela est à présent un terrain connu. Mais c’est justement là que se situe la magie de ce second épisode : retrouver, mais dans d’autres circonstances, des lieux familiers comme le dortoir des filles ou la salle de classe, nous permet de nous imprégner de tranches de vie, d’y prendre nos aises, et peut-être de ressentir le malaise qui y règne.
Pour tout dire, malgré le final foudroyant de cette deuxième journée, Life is Strange n’est peut-être pas aussi assuré dans le registre dramatique que le souhaiteraient ses créateurs. Les références à Twin Peaks n’y font rien, l’univers créée par Dontnod est trop tendrement pop pour susciter l’inquiétante étrangeté lynchienne, le décor trop pittoresque pour réellement nous glacer. D’ailleurs, aucune des figures menaçantes, ni le beau-père maniaque de vidéo-surveillance, ni le jeune richard arrogant, ni même le mystérieux voyou ou l’homme au mobile-home n’empêcheront de dormir. On peut estimer qu’il s’agit d’un choix conscient des développeurs, mais le jeu frôle parfois la maladresse – par exemple lorsqu’il peint un peu vite le harcèlement dont est victime l’une des étudiantes, ou lorsqu’il pousse Maxine et le joueur à faire des choix qui manquent de subtilité.
« Life is Strange évoque avec sensibilité le quotidien, sa texture, ses hasards, ses petits riens qui transpirent la nostalgie »
Life is Strange est heureusement beaucoup plus à l’aise dans la mélancolie que dans la tragédie, et le jeu évoque avec sensibilité le quotidien, sa texture, ses hasards, ses petits riens qui transpirent la nostalgie. Les meilleures séquences de l’épisode nous laissent déambuler dans les baskets de Maxine, pour mieux observer le décor, pour discuter avec les clients d’un diner, pour parcourir une brochure proposant un tour de la baie en bateau ou un flyer du club de SF. Mécanisme du jeu d’aventure depuis ses origines textuelles – « look at lamp », tapions-nous dès la fin des années 1970 –, l’observation prend ici une dimension intimiste, qui colle parfaitement au cadre étudiant. On n’est pas discret quand on a dix-huit ans, et les adolescent(e)s affichent leurs angoisses sur les murs de leur chambre, ils écrivent leurs espoirs, elles laissent traîner leurs problèmes bien en vue sur leur bureau. Maxine, l’apprentie photographe, est forcément à l’affût de ces détails, peut-être moins par voyeurisme que par compassion, plus pour la beauté de la contemplation que par curiosité malsaine. L’un des moments les plus représentatifs du jeu demande non pas d’agir, mais d’observer et de raconter ce que l’on a vu : qui a renversé la tasse de café, que contiennent les poches de Chloé la meilleure amie en roue libre, qu’est-ce qui a mis en route le jukebox ? Tout cela est très simple, presque artificiel, mais essentiel : le jeu nous apprend à voir.
Et qu’avons-nous vu dans cet épisode ? Des vignettes comme peintes à l’aquarelle, souvent drôles, toujours touchantes. Une scène de douche aussi banalement discrète que violente, hommage ironique à David Cage. Maxine se moquant des « poètes rednecks » qui écrivent des graffitis homophobes dans les toilettes, puis partant avec sa copine plouc tirer sur des bouteilles de bière. Une discussion sur le cannabis avec un policier qui prend son petit déjeuner… De beaux moments de réalisme minimaliste, de poésie du quotidien à la Raymond Carver, d’autant plus précieux qu’ils sont presque inédits en jeu vidéo.
L’attente avant le prochaine épisode – six semaines ! – va être longue, et l’impatience nous gagne déjà. On brûle de retourner glander avec Chloé, d’aller au drive-in avec le faux candide Warren, en espérant que la tragédie nous épargne, qu’elle ne vienne pas détruire ces fragiles moments, cette étrange vie suspendue de l’adolescence, radieuse et douloureuse, en espérant ne pas avoir à grandir.
Life is Strange Ep. 2 : Out of Time
DONTNOD / Square Enix
PC, PS3, PS4, X360, XONE
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