Emma Lugo a juxtaposé quelques-uns de ses poèmes favoris avec des environnements virtuels conçus par génération procédurale. En découle une expérience hors norme baptisée Aesteria, jeu onirique à la première personne où les mots deviennent des mondes.
Astaeria est un FPPV – entendre un first person poetry visualizer. Un jeu à la première personne permettant d’explorer la représentation vidéo-ludique d’un poème. En pratique, il vous suffit de sélectionner une poésie, et puis un monde abstrait composé de couleurs évolutives et de formes géométriques engendrées à l’image de cette élégie. Dès lors, chacun des éléments de la structure se métamorphose au gré des vers de la pièce. Recette planante à laquelle s’ajoute une sélection aléatoire de musique composée par un certain Matt Read – non, pas le joueur de hockey sur glace.
Le jeu se compose de huit poèmes, du Kubla Khan de Samuel Taylor Coleridge au Lady Lazarus de Sylvia Plath en passant par quelques classiques signés Percy Bysshe Shelley, T.S. Eliot et autres Lewis Carroll. Avis aux inconditionnels de la prosodie anglaise et américaine, donc – mais pas seulement. Car que l’on soit adepte ou non de poésie, l’expérience s’avère saisissante. L’occasion d’imaginer à quoi ressemblerait un vers s’il s’agissait d’un lieu, un mot s’il s’agissait d’un ton, d’une note, d’une teinte… Comme si l’on assistait en temps réel à la structuration d’un processus créatif. Par exemple, voyager dans l’univers de Jabberwocky nous projette dans une forêt de roches d’où émerge une créature innommable. Même si chacun y trouvera probablement autre chose, selon son propre regard.
Sur le papier, l’idée même d’explorer des mondes fabriqués à partir de poèmes fleure bon la psychanalyse. Un peu comme s’il s’agissait de retranscrire des rêves en monde vidéo-ludique au sortir du lit, façon Fellini. L’on pense aussi évidemment aux calligrammes de Guillaume Apollinaire. À la différence ici que les vers ne forgent pas les formes affichées à l’écran, mais apparaissent en surimpression en guise de fil conducteur. Ces promenades mentales dans les dédales spleenétiques de quelques amants des Muses frisent l’installation d’art contemporain. Et il n’est pas rare de songer aux monochromes d’artistes tels qu’Ad Reinhardt, Lucio Fontana voire Alexandre Rodtchenko ou Yves Klein. Un mélange des genres et des médiums du plus bel effet.
No Comments