Inconditionnel du cinéma surréaliste, Daniil Ermakov a imaginé avec A Box Full of Joy une rencontre entre les œuvres de David Lynch et Alejandro Jodorowsky. Plongée gore et fatalement impénétrable qui en captivera plus d’un.
Alan Wake, Deadly Premonition, The Stanley Parable, Silent Hills (à ne pas effacer de vos disques durs)… David Lynch compterait-il désormais parmi les artistes les plus influents du monde vidéoludique ? Un bref coup d’œil sur Steam suffit en tout cas à dénicher des pages et des pages de jeux tagués « surreal ». Titres qui renvoient le plus souvent à un style « lynchien », avec à chaque fois ou presque une même logique ironique où le macabre côtoie la banalité, et où l’histoire révèle peu à peu une réalité plus toxique qu’attendue. Si les créateurs adeptes de ce principe ne manquent pas en matière de jeu vidéo, d’autres s’autorisent des associations plus audacieuses. C’est le cas de Daniil Ermakov.
Jeu d’aventure kafkaïen où l’on incarne Frank, père de famille dont l’histoire poético-gore restera cryptée (pour vous), A Box Full of Joy mélange les bizarreries surréalistes de Lynch (tendance Lost Highway) à celles d’Alejandro Jodorowsky (La Montagne Sacrée surtout). Entre humour et terreur, Daniil Ermakov (aka Da Neel) compose ainsi un univers qui sans reprendre la linéarité d’un Alan Wake ou d’un Deadly Premonition, distille une dimension trash et presque métaphysique, plus proche d’Eraserhead. Chose étonnante, ce croisement atypique (mais cependant logique) partage aussi quelques points communs avec Un jour sans fin, à commencer par une action répétitive. Pour preuve, le joueur émerge à chaque début de séquence à l’extérieur d’un bar, que l’on traverse bientôt jusqu’à une piste de danse. Nous pouvons alors agir de cinq façons différentes : effectuer un moonwalk, examiner et interagir avec les choses et les personnes alentour, avaler des pilules ou s’avancer lentement. Histoire de moduler les choses et créer du rythme, le jeu supprime petit à petit certaines actions au fil de l’aventure, et altère quelques paramètres. Phénomène qui ne manque pas de créer un profond malaise.
L’influence de Lynch et Jodorowski est palpable de partout dans A Box Full of Joy, tant au niveau du jeu sur les couleurs, la caméra, la musique, les décors que ce côté nébuleux emblématique qui s’avère parfois terrifiant. Lorsque le personnage se réveille avec une paire de jambes attachée à une croix sanglante, l’on songe ainsi au western sous acide El Topo de Jodorowski, tandis que La crucifixion d’un cheval dépecé renvoie elle aux agneaux crucifiés de La Montagne Sacrée, ou qu’un bref cri renvoie à celui de Laura Palmer dans Twin Peaks : Fire walk with me – dont on retrouvera une autre citation avec un personnage qui nous parle de son verre de bière comme la femme à la bûche de la série éponyme.
Difficile d’égrainer les innombrables clins d’œil introduits par Da Neel dans A Box Full of Joy, dont même le titre fait écho aux fameuses boîtes de Mulholland Drive. Quoi qu’il en soit, le développeur démontre avec cet OVNI que la passion des développeurs pour l’ésotérisme de Lynch et Jodorowsky n’a rien d’un hasard. Principalement parce que les longs métrages des deux réalisateurs sont eux-mêmes des jeux. Des casse-têtes avec leurs séries d’outils et d’indices permettant ou pas au spectateur de démêler l’insondable. Il était pour cette raison probablement inévitable que la communauté du jeu vidéo s’empare un jour des œuvres des deux artistes les plus sibyllins du cinéma.
1 Comment
Salut Alexandre,
je lis régulièrement tes post (quand j’ai le temps), et si je n’ai jamais été un joueur passionné, j’ai été un peu tenté par suRRéalista (mais je n’ai pas réussi à entrer dedans). Ton article était vachement bien, et là pareil. Si j’ai un peu de temps je vais probablement m’y essayer (Lynch rencontre Jodorowski ? Come ON !).
J’espère que tu vas bien,
bonne continuation
Romain