Analyses 2

The Evil Within : The Consequence
# Le jeu le mieux éclairé du monde ?


Et si The Evil Within était le jeu le mieux éclairé du monde ? Petite analyse à travers une série d’images tirées du second DLC, The Consequence.

Peu de jeux peuvent prétendre à un rendu aussi organique et stylisé de la lumière. Il est loin l’effet vintage de Silent Hill 2, filtre poussiéreux posé simplement sur l’écran comme un voile : Shinji Mikami et Tango Gameworks ont travaillé l’image de The Evil Within non plus à la manière d’un calque, en ajoutant de la matière sur la matière, mais en intégrant celle-ci dans l’espace. En simulant la prise de vue photographique comme peut-être aucun jeu auparavant, ils ont pris le réalisme pour ce qu’il doit être dans le meilleur des cas : le point de départ d’une question de style, et non une imitation du réel. Ainsi la lumière, les ombres comme les couleurs donnent l’air d’être mouvantes et conçues avec comme seule logique une démarche artistique. Elles sont non seulement granuleuses pour répondre à la crasse de cet environnement psychotique et instable, mais ont aussi cet aspect vivant qui transforme tout l’espace en quelque chose de poreux, incertain et oppressant.

La seconde partie du DLC de The Evil Within, The Consequence, renforce plus encore cette esthétique ultrastylisée de la lumière que le premier épisode avait déjà mis au centre de tout. D’abord par la lampe torche, objet central et fétiche du survival autour duquel tourne le gameplay. Ensuite par son bestiaire, avec cette impressionnante et déjà mythique créature de femme-lampe que vous pouvez voir plus haut dans notre image d’ouverture. The Evil Within sculpte la lumière moins comme un jeu vidéo que comme un chef opérateur : on pense à Daniel Pearl, qui a éclairé le mythique Massacre à la Tronçonneuse (l’original et le remake, mésestimé), voire à Emmanuel Lubezki, à la photo de tous les films de Terrence Malick depuis Le nouveau Monde (pour la stylisation inouïe des lumières naturelles). Petit diaporama commenté.

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Vers le début du troisième chapitre, correspondant à la première partie du second DLC, le jeu nous plonge dans le noir absolu. Pour retrouver son chemin, le joueur est seulement muni de tubes phosphorescents permettant de baliser provisoirement l’espace. Si l’idée se révèle un peu pauvre en matière de gameplay, l’absence de lumière génère des effets fascinants sur la mise en situation du personnage, découpé subtilement dans l’obscurité au point de se confondre dedans.

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Si le jeu original était un sommet de variations chromatiques et optiques, The Consequence va encore plus loin. Sur cette image, à la composition déjà structurée par la lumière, s’ajoutent des particules en suspension, un gimmick généralisé par cette génération de console, mais qui ici acquiert une vraie cohérence esthétique. On note également la profondeur de champ : bien qu’affichée sur une courte distance de quelques mètres, elle donne à ce mur, par le jeu des couleurs, des textures et de la pénombre, une étonnante dimension angoissante. On retiendra enfin cet aspect pas si courant même dans les jeux qui empruntent le plus au cinéma (The Last of Us, au hasard) : The Evil Within sait parfois distiller de véritables plans, cadrés, réfléchis, sans retirer un instant au joueur sa liberté de bouger la caméra, ni plier sur la valeur du level design.

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The Evil Within ne lésine par sur le folklore horrifique. On ne compte pas les décors et objets qui déclinent Massacre à la Tronçonneuse et ses clones. Petite réminiscence à l’ouverture désormais célèbre du jeu, ce passage de The Consequence exalte sa palette chromatique et ose le monochrome pour une ambiance glauque rouge sang. La manière hyper graphique dont les outils accrochés sur l’établi tranchent avec le reste du décor les rend d’autant plus inquiétants.

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Évolution technique oblige, la profondeur de champ n’a jamais été aussi impressionnante qu’aujourd’hui. Mais pour la rendre intéressante, il faut surtout travailler l’éclairage en fonction de la manière dont celui-ci est disséminé dans la perspective. Sur cette scène, toujours extraite de la première partie du second DLC, les variations de couleur et de lumière sont ainsi distribuées tout au long de la profondeur de champ à travers les trois zones du plan : le premier plan où la pénombre renforce les textures du décor et des vêtements du personnage (sur lequel on peut voir le discret reflet de lumière renvoyé par le tube phosphorescent vert, ici coupé) ; le second plan, suffisamment éclairé pour faire apparaître la menace des lames tournoyantes au plafond ; et l’arrière-plan, le plus saisissant, non seulement parce qu’il ouvre à l’inconnu et donc au hors-champ, mais aussi par son éclairage s’appuyant sur des tonalités froides. Celui-ci crée un effet de contraste avec ce rouge écrasant, et il est surtout composé lui-même d’effets d’ombres et de matières poussiéreuses en suspens lui conférant une atmosphère fortement organique et menaçante. Tout l’espace vibre ainsi aux différentes échelles du plan et produit un rendu cinématographique saisissant, et inédit.

+ Voir image 1B plus bas pour un autre aperçu

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Tout au long de son aventure, Juli Kidman, héroïne de ce DLC, croise sans cesse celui qui l’a poussé dans ce cauchemar éveillé. Sous la forme d’un spectre et le plus souvent d’une ombre, il surgit comme un fantôme incarnant sa paranoïa (jusqu’aux bras monstrueux et tentaculaires tentant de l’attraper à la fin du premier DLC et qu’on croirait sortis du Blanche Neige de Disney). Dans The Consequence, il apparaît généralement derrière des bâches en plastique qui ne laissent visibles que sa silhouette et une lumière diffuse. La séquence la plus folle a lieu quand Juli descend une échelle dans l’obscurité (moment vertigineux : on ne sait plus ce qui se déroule à l’écran, puisque aucun son ne vient valider la progression). Au milieu de la descente, entre deux écrans noirs, on aperçoit l’homme derrière l’une de ces bâches – une image qui évoque un bout de film qui surgirait du néant sur une pellicule non révélée en train de défiler. Mémorable.

+ Voir image 2B plus bas pour un autre exemple de ces apparitions

++ Voir image 4B pour un clin d’oeil souligné à la paranoïa servant de principe moteur au jeu

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The Evil Within est aussi une véritable étude stylistique des basses lumières. L’image n’est pas sombre, mais éclairée en nous laissant discerner ce qu’il faut du personnage et du décor, afin de créer des zones où l’obscurité contamine l’image jusqu’à la faire disparaître. On pense à certains passages du film The Descent, plongée souterraine barbare dans un territoire à la fois monstrueux et abstrait (à la différence que jamais la lumière ne descend aussi bas chez Neil Marshall). Le rendu est ici d’une finesse d’autant plus sidérante qu’il conserve toujours un aspect organique, que même l’utilisation du numérique chez Michael Mann (sur Miami Vice ou Public Ennemies) n’arrive pas à générer en se fondant sur des lumières aussi faibles. L’effet d’un point de vue atmosphérique est spectaculaire, et surtout une parfaite réponse graphique à l’univers névrosé et labyrinthique du jeu.

+ Voir image 3B pour un autre bout de décor encore davantage noyé par l’obscurité.

Bonus 1

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Bonus 2

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Bonus 3

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Bonus 4

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2 Comments

  • KotL says: 2 mai 2015 at 19 h 38 min

    Article très intéressant, même si j’ai fait le jeu en settings minimum pour que mon pc tienne la charge, j’avais noté que les jeux de lumières étaient vraiment bons, merci d’avoir su mettre les mots pour décrire l’efficacité des procédés employés !

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    • Games says: 4 mai 2015 at 10 h 10 min

      Merci à vous pour votre commentaire ! ^^

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